Qu'est-ce que CONTER ?

Une petite introduction à l'art du conteur

Quelques définitions pour mieux comprendre le travail du conteur

Le travail du conteur est aujourd'hui encore très mal connu.

 

L'art du conteur est de faire naître des images chez ceux qui l'écoutent, et d'émouvoir, par ses récits, jusqu'à l'inconscient de ses auditeurs, pour faire d'une histoire un outil de construction personnelle.

 

Si le conteur raconte bien, l'auditeur devient alors créateur de ses propres images, qu'il emporte avec lui pour longtemps, et qui continuent en lui un long travail souterrain utile à la construction de sa personne.

 

Mais nous vivons dans une société saturée d'images et de spectacles, où le visuel est prépondérant, une société qui néglige de stimuler et de mettre en marche l'imagination active et libre des spectateurs, trop souvent relégués au rang de consommateurs passifs. Cela ne facilite pas la connaissance et la reconnaissance de l'art du conte et de ses spécificités.

 

Pour mieux percevoir en quoi consiste ce travail spécifique du conteur, je propose, dans mes formations, quelques outils très simples qui permettent de se situer dans la pratique du conte.

 

Deux idées fondamentales : 

- un triangle d'or, idéal d'équilibre dans la pratique du conteur,

- un repère à deux axes pour construire une narration riche en images.

 

Voyons cela de plus près.

Le triangle d'or du conte

Le travail du conteur consiste en une mise en relation de trois entités :

 

- un conte,

 

- un conteur,

 

- un public.

 

Idéalement, ce triangle tend à être équilatéral, il représente un équilibre idéal entre ces trois pôles.

En fait, les choses sont un peu plus compliquées : 

le conte concerne à la fois

- la sphère sociale, des relations entre les individus d'un même groupe, des compotements autorisés ou interdits,

- et la sphère de l'insconscient des auditeurs. 

 

Conteur et Public sont eux aussi impliqués dans un double jeux de communications, dans la sphère sociale d'une part, entre les inconscients d'autre part.

 

Les bords du triangle sont donc doubles :

- mise en relation au niveau des règles et normes sociales et comportementales,

- mise en relation des inconsients. 

Les linguistes utilisent des termes savants pour décrire une phrase ou un récit, ils parlent d'axe syntagmatique et d'axe paradigmatique.

 

Ces termes ne doivent pas faire peur, ils sont très utiles aux conteurs pour décrire plus clairement leur travail, et peuvent se définir plus simplement qu'il n'y parait à la lecture des ouvrages de linguistique.

 

Sans entrer dans des définitions trop théoriques, disons que l'axe syntagmatique est celui, en quelque sorte, de l'avancée du récit dans le temps. C'est sur cet axe que l'on rencontre les contraintes de cohérence narrative du récit (par exemple si un objet magique est donné à un héros, il doit servir à un moment ou un autre du conte).

Cet axe permet au conteur de repérer les événements décisifs qui font avancer l'histoire, et aide à concevoir le rythme d'un récit, à définir le chemin et l'allure que prennent Conteur et Conte pour mener le public du début à la fin de l'histoire.

 

L'axe paradigmatique, quant à lui, représente la capacité d'évocation du récit, sa capacité à faire sens. C'est sur cet axe que l'on va reprérer les symboles, les images fortes, les "motifs" qui donnent à un conte sa couleur reconnaissable entre toutes. C'est sur cet axe que se repèrent les éléments du conte qui vont résonner avec l'inconscient de l'auditeur et du conteur.

 

Sur cet axe, le travail du conteur est :

 

- avant de raconter son conte, reprérer les éléments symboliques forts qu'il faut absolument respecter : c'est tout un long travail de comparaison des versions d'un même conte-type, travail indispensable pour entrer en intimité avec le "coeur intangible" du conte, avec ce qu'il a d'incontournable et de constant au fil des versions.

 

- puis se nourrir d'images précises qu'il va pouvoir convoquer lors de la narration en public : c'est le travail de son propre imaginaire.

 

- lors de la narration, rechercher la plus grande puissance d'évocation possible, surtout là où l'on rencontre ces symboles, ces éléments forts qui ont de grandes chances d'entrer en résonnance avec les inconscients. Le conteur doit alors aider l'auditeur à créer ses propres images et à ouvrir un chemin qui conduira le conte et ses significations profondes vers son inconscient. Là interviendra sa sensibilité, sa poésie, la richesse et la précision de ses images, tout ce qui renforcera sa capacité d'évocation et d'animation d'images fortes chez l'auditeur.

 

 (Pour mieux comprendre la signification de cet axe, on peut par exemple dire que l'intégralité du travail de Bachelard sur la poétique se situe sur cet axe, que l'on pourrait presque appeler aussi axe de la poétique)

Les déséquilibres du triangle d'or

Pour mieux comprendre en quoi consiste le travail du conteur, et ses risques d'échec, on peut imaginer que les trois extrêmités du triange sont susceptibles de se déplacer.

 

On va maintenant examiner quelques uns de ces déséquilibres potentiels.

Les déséquilibres de la relation du Conteur à son Public

Le risque numéro 1 :

Le conteur est surtout soucieux de plaire au public, d'obtenir son admiration.

Il en rajoute, fait preuve de virtuosité, veut prouver sa technicité, utilise toutes sortes de "trucs" plus ou moins démagogiques pour s'assurer de l'adhésion de son public à sa personne. Il ajoute ici une chanson, là un morceau de musique, une danse, une jonglerie, toute sorte d'artifice pour dire à son public "regardez tout ce que je sais faire, et surtout... aimez-moi".

C'est l'ego du Conteur qui devient alors le moteur principal au détriment du Conte raconté.

 

Cette situation se rencontre parfois chez certains professionnels du théâtre, à qui l'on demande souvent de prouver leur virtuosité sur scène, ou chez des personnes qui content avant tout pour se montrer "aimable et respectacbe", pour soigner une image de générosité sans trop se soucier de la valeur potentiellement structurante des contes pour ceux qui les reçoivent.

Risque numéro 2 :

C'est le public qui demande à voir une "bête de scène". Il est surtout intéressé par la performance scénique du conteur vedette, moins par les histoires contées. 

Combinaison des deux risques

 

Là, le "show bizness" fonctionne à son comble.


Conteur et Public sont dans une relation fusionnelle. On ne se préoccupe plus vraiment de ce qui est raconté mais uniquement de la performance scénique. 

 

La gestion économique du spectacle vivant, dans une société où tout doit devenir marchandise, pousse à l'émergence de "bêtes de scènes" capables de remplir les salles, et donc générer du chiffre d'affaire. Le conteur doit alors avant tout "faire recette"... parfois en privilégiant la superficialité et la démagogie plutôt que la profondeur symbolique et poétique du Conte.

Autre cas délicat : le public n'attend pas vraiment un Conteur, mais un spectacle sur un conte, sur un thème, sur un personnage.

 

Le Public vient "voir" un conte ou une histoire qu'il connait déjà plus ou moins, ne serait-ce que par son titre. On annonce par exemple "Blanche Neige" au théâtre le plus proche. Le public est indifférent au fait que le conte soit véritablement conté, joué, dansé, mimé.

Il y a de fortes chances, dans notre société du spectacle, que le Public soit alors un peu déçu d'entendre un conteur qui ne propose rien de visuel et de spectaculaire.

 

On le voit à l'examen de ces quelques déviations du triangle d'or  :

 

L'art du Conteur, ce n'est pas de "faire du Spectacle", ce n'est pas du ONE MAN SHOW.

 

Sinon, c'est le Conte qui s'affaiblit au profit de la seule relation entre le Conteur à son Public. 

Catastrophe !

 

Autre dégradation du rapport Conteur - Public :

 

Le Public n'a pas choisi de venir écouter le Conte, il n'a pas été préparé à son écoute, il a envie de faire autre chose, par exemple recevoir les cadeaux du Père Noël.

 

Il ne souhaite plus du tout écouter le Conte.

Le Conteur est mal, il lui faut beucoup de métier pour rattraper la situation !

Autre Catastrophe !

 

Le Conteur s'éloigne de son Public. Il n'a pas envie de raconter à ces gens-là !

Cela peut arriver si des oppositions de valeur se font jour entre le Conteur et le Public présent lors de la prestation.

 

Encore une situation difficile en perspective !

Les déséquilibres dans les relations du Conteur à son Conte

Un conteur n'est pas quelqu'un qui emprunte un livre de contes dans une bibliothèque pour raconter une histoire deux jours après. Il n'apprend pas un texte. Il vit ses histoires. Il vit avec ses histoires.

 

La relation d'un Conteur à ses Contes est une relation forte, riche et complexe.

Il faut parfois des mois pour apprivoiser un conte, pour le rêver, le vivre, et se sentir prêt à le donner à un public. 

 

Le Conteur témoigne de ce qu'il a vécu, de ce qu'il a rêvé. C'est un rêveur d'histoire. Il a travaillé un long temps, suscité une longue maturation, une vraie fermentation intérieure avant de raconter une histoire. Il a peut être beaucoup marché avec son histoire, beaucoup rêvé, allongé sur un lit, baigné de la lumière du soleil ou caressé par la lueur de la lune. Il s'est souvent endormi avec son histoire. On croit parfois qu'il ne fait rien, mais en réalité, sans en avoir l'air, il travaille sans cesse et sans relâche ses histoires...

 

Quand le Conteur dit, à la fin de son conte : "j'y étais mais on ne m'a rien donné à manger", il en dit plus long qu'on ne le pense sur ce qu'il a vécu en "travaillant" un conte et en se laissant travailler par lui. Il a visité à sa manière le monde onirique dont il témoigne.

 

Mais une relation aussi intime et aussi intense a forcément ses déséquilibres.

Le Conteur est dans une relation trop forte, trop émotionnelle, à son Conte. Il court le risque d'éloigner le Public de ce Conte.

Le Conteur a fini par se désintéresser de son Conte. Le Conte s'est éloigné de lui, il n'est plus "dedans".

Conteur : Un métier à risques

Ces quelques exemples de déséquilibres du triangle d'or du Conte ont pour objectif de vous faire comprendre que CONTER c'est un vrai SAVOIR-FAIRE, complexe, qui demande une longue formation, une longue pratique et toujours beaucoup de travail.

 

C'est, à mon avis, UN VRAI METIER à plein temps, où rien ne s'improvise, y compris la part d'improvisation qui suppose toujours un gros travail de préparation !